Britannicus
(séquence de seconde, le théâtre du 17e au 21e s.)
2020/2021
Programmation séquentielle aménagée (enseignement hybride)
Contexte historique & cadre esthétique
L'arrière-plan théorique de la dramaturgie classique
Fascination de RACINE pour les tyrans?
On peut se poser la question d'un cycle des passions tyranniques chez RACINE, entre
Andromaque (1667) où Pyrrhus passe son temps à exiger,
Britannicus (1668), avec la formulation explicite du fructueux (pour un auteur) paradoxe: "Toujours la tyrannie a d'heureuses prémisses" :
Bajazet (1672) où c'est Roxane qui est dépassée par sa fureur
Quelle(s) raisons à cela?
La tyrannie, outre son intérêt dramaturgique (pain béni pour une peinture des passions ), revient dans les préoccupations politologiques dès le 16e s., ; elle pose la question de la bonne gouvernance (juste ou efficace, c'est tout le problème, chez MACHIAVEL ou LA BOETIE, et même chez MONTAIGNE), prend une tournure toute particulière avec l'hyper-puissance centralisatrice, administrative, de droit divin et spectaculaire de Louis XIV auquel RACINE est lié de façon ambiguë : ancien de Port-Royal qui finit par y revenir, il se met au service du Roi (qui avait persécuté Port-Royal -Etat dans l' Etat-) en tant qu'historiographe dans les années 1670. RACINE entretient un rapport durable, conscient et conflictuel à la figure de Louis XIV. Qu'a de si marquant cet hyper-pouvoir de Louis XIV ?
Cf. exposition "le Roi est mort" (Château de Versailles, 2015)
L'historien Joël CORNETTE a largement étudié l'Etat louisquatorzien et son absolutisme spectaculaire, qui pose la question des limites du pouvoir, i.e. de sa mesure et de ses excès.
Qui est ce "monstre naissant", Néron ?
Une découverte du CNRS/ archéo Camille JULLIAN (Aix AMU)
Néron par Suétone
Empoisonnement de Britannicus
Ce fut par Claude qu'il commença ses meurtres et ses parricides. S'il ne fut pas l'auteur de sa mort, il en fut du moins le complice. Il s'en cachait si peu, qu'il affectait de répéter un proverbe grec, en appelant "mets des dieux" les champignons qui avaient servi à empoisonner Claude. Il outrageait sa mémoire par ses paroles et par ses actions, en l'accusant tour à tour de folie et de cruauté. Il disait qu'il avait cessé de demeurer parmi les hommes, en appuyant sur la première syllabe de morari en sorte que cela signifiât qu'il avait cessé d'être fou. Il annula beaucoup de décrets et de règlements de ce prince comme des traits de bêtise ou de folie. Enfin il n'entoura son tombeau que d'une mince et chétive muraille. Il empoisonna Britannicus parce qu'il avait la voix plus belle que la sienne, et qu'il craignait que le souvenir de son père ne lui donnât un jour de l'ascendant sur l'esprit du peuple. La potion que lui avait administrée la célèbre empoisonneuse Locuste étant trop lente à son gré et n'ayant occasionné à Britannicus qu'une simple diarrhée, Néron appela cette femme et la frappa de sa main, l'accusant de ne lui avoir fait prendre qu'une médecine au lieu de poison. Comme elle s'excusait sur le dessein qu'elle avait eu de cacher un crime si odieux: "Crois-tu donc, lui dit-il, que je craigne la loi Julia?", et il l'obligea de composer devant lui le poison le plus prompt et le plus actif qu'il lui serait possible. Il l'essaya sur un chevreau qui n'expira que cinq heures après. Il le fit recuire à plusieurs reprises, et le donna à un marcassin qui mourut sur-le-champ. Sur l'ordre de Néron, on l'apporta dans la salle à manger et on le servit à Britannicus qui soupait avec lui. Le jeune prince tomba dès qu'il l'eut goûté. Néron dit alors aux convives que c'était une épilepsie à laquelle il était sujet. Le lendemain, par une pluie battante, il le fit ensevelir à la hâte et sans aucune pompe. Pour prix de ses services, Locuste reçut l'impunité, des terres considérables et même des disciples.
Le présage de la comète
(Rappelons que la vie de Néron par l'historien romain Suétone avait été placée, d'emblée, sous le signe du rayon de soleil...)
Le portrait physique de Néron...
n'arrive qu'en dernier, après le récit de ses funérailles, d'ailleurs
Néron avait une taille ordinaire. Son corps était hideux et couvert de taches, sa chevelure blonde, sa figure plutôt belle qu'agréable, ses yeux bleus et faibles, le cou fort, le ventre gros, les jambes grêles, le tempérament vigoureux. Malgré l'excès de ses débauches, il ne fut malade que trois fois en quatorze ans; encore ne le fut-il pas au point d'être obligé de s'abstenir de vin, ou de rien changer à ses habitudes. Il avait si peu de décence et de tenue, que, dans son voyage en Grèce, il laissa retomber derrière sa tête ses cheveux, qui d'ailleurs étaient toujours disposés en étages, et que souvent il parut en public vêtu d'une espèce de robe de chambre, un mouchoir autour du cou, sans ceinture ni chaussures.
Néron et la mort de Britannicus par Tacite (=référence de RACINE*)
Annales XIII
Néron, alarmé de ces fureurs, et voyant Britannicus près d'achever sa quatorzième année, rappelait tour à tour à son esprit et les emportements de sa mère, et le caractère du jeune homme, que venait de révéler un indice léger, sans doute, mais qui avait vivement intéressé en sa faveur. Pendant les fêtes de Saturne, les deux frères jouaient avec des jeunes gens de leur âge, et, dans un de ces jeux, on tirait au sort la royauté; elle échut à Néron. Celui-ci, après avoir fait aux autres des commandements dont ils pouvaient s'acquitter sans rougir, ordonne à Britannicus de se lever, de s'avancer et de chanter quelque chose. Il comptait faire rire aux dépens d'un enfant étranger aux réunions les plus sobres, et plus encore aux orgies de l'ivresse. Britannicus, sans se déconcerter, chanta des vers dont le sens rappelait qu'il avait été précipité du rang suprême et du trône paternel. On s'attendrit, et l'émotion fut d'autant plus visible que la nuit et la licence avaient banni la feinte. Néron comprit cette censure, et sa haine redoubla. Agrippine par ses menaces en hâta les effets. Nul crime dont on pût accuser Britannicus, et Néron n'osait publiquement commander le meurtre d'un frère: il résolut de frapper en secret, et fit préparer du poison. L'agent qu'il choisit fut Julius Pollio, tribun d'une cohorte prétorienne, qui avait sous sa garde Locuste, condamnée pour empoisonnement, et fameuse par beaucoup de forfaits. Dès longtemps on avait eu soin de ne placer auprès de Britannicus que des hommes pour qui rien ne fût sacré: un premier breuvage lui fut donné par ses gouverneurs, trop faible, soit qu'on l'eût mitigé, pour qu'il ne tuât pas sur-le-champ. Néron, qui ne pouvait souffrir cette lenteur dans le crime, menace le tribun, ordonne le supplice de l'empoisonneuse, se plaignant, que, pour prévenir de vaines rumeurs et se ménager une apologie, ils retardaient sa sécurité. Ils lui promirent alors un venin qui tuerait aussi vite que le fer: il fut distillé auprès de la chambre du prince, et composé de poisons d'une violence éprouvée.
C'était l'usage que les fils des princes mangeassent assis avec les autres nobles de leur âge, sous les yeux de leurs parents, à une table séparée et plus frugale. Britannicus était à l'une de ces tables. Comme il ne mangeait ou ne buvait rien qui n'eût été goûté par un esclave de confiance, et qu'on ne voulait ni manquer à cette coutume, ni déceler le crime par deux morts à la fois, voici la ruse qu'on imagina. Un breuvage encore innocent, et goûté par l'esclave, fut servi à Britannicus; mais la liqueur était trop chaude, et il ne put la boire. Avec l'eau dont on la rafraîchit, on y versa le poison, qui circula si rapidement dans ses veines qu'il lui ravit en même temps la parole et la vie. Tout se trouble autour de lui: les moins prudents s'enfuient; ceux dont la vue pénètre plus avant demeurent immobiles, les yeux attachés sur Néron. Le prince, toujours penché sur son lit et feignant de ne rien savoir, dit que c'était un événement ordinaire, causé par l'épilepsie dont Britannicus était attaqué depuis l'enfance; que peu à peu la vue et le sentiment lui reviendraient. Pour Agrippine, elle composait inutilement son visage: la frayeur et le trouble de son âme éclatèrent si visiblement qu'on la jugea aussi étrangère à ce crime que l'était Octavie, sœur de Britannicus: et en effet, elle voyait dans cette mort la chute de son dernier appui et l’exemple du parricide. Octavie aussi, dans un âge si jeune, avait appris à cacher sa douleur, sa tendresse, tous les mouvements de son âme. Ainsi, après un moment de silence, la gaieté du festin recommença.
* TACITE et non pas SUÉTONE: source au ton autrement plus pittoresque, pour ne pas dire pictural que le sec et réprobateur SUÉTONE, ce qui laisse plus de place à l'exploration et la dramatisation des passions complexes.
Néron vu par Racine
Première préface (1670)
D'autres ont dit, au contraire, que je l'avais fait trop bon. J'avoue que je ne m'étais pas formé l'idée d'un bon homme en la personne de Néron. Je l'ai toujours regardé comme un monstre. Mais c'est ici un monstre naissant. Il n'a pas encore mis le feu à Rome. Il n'a pas tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs. A cela près, il me semble qu'il lui échappe assez de cruautés pour empêcher que personne ne le méconnaisse.
Seconde préface (1670)
Pour commencer par Néron, il faut se souvenir qu'il est ici dans les premières années de son règne, qui ont été heureuses, comme l'on sait. Ainsi il ne m'a pas été permis de le représenter aussi méchant qu'il a été depuis. Je ne le représente pas non plus comme un homme vertueux ; car il ne l'a jamais été. Il n'a pas encore tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs ; mais il a en lui les semences de tous ces crimes. Il commence à vouloir secouer le joug. Il les hait les uns et les autres, et il leur cache sa haine sous de fausses caresses : factus natura velare odium fallacibus blanditiis. En un mot, c'est ici un monstre naissant, mais qui n'ose encore se déclarer, et qui cherche des couleurs â ses méchantes actions : hactenus Nero flagitiis et ceteribus velamenta quaesivit. Il ne pouvait souffrir Octavie, princesse d'une bonté et d'une vertu exemplaires, fato quodam, an quia praevalent illicita ; metuebaturque ne in stupra feminarum illustrium prorumperet.
Qui peut attendre quoi de Néron?
Néron antique vs Néron chrétien
Représenter le crime quand on est un "classique": Nicolas POUSSIN
Les textes de la séquence
Présentation du dramaturge par le prof. A. VIALA
la "stratégie du caméléon"
Présentation de l'intrigue et les enjeux de la représentation du texte racinien
par S. Braunschweig (mise en scène Comédie Française, 2018)
Scénographie : décor & plateau
(par S. Braunschweig pour la Comédie Française)
La pièce intégrale (2018), captation audio France Culture
Entrer dans le texte par une double entrée: grammaire et alexandrin racinien
Les élèves quelque peu démobilisés en fin cette fin décembre, sont invités, de façon volontairement ritualisée, à se pencher chaque jour, sur une double énigme.
Les élèves en distanciel peuvent envoyer leurs hypothèses en 3 mn chrono (mp3) via PRONOTE ou par email.
Les réponses discutées en classe ouvrent, après lecture du texte concerné, la séance du jour.
La question de grammaire consiste en une définition, un repérage du phénomène (=ses formes et expressions) mais aussi, surtout, de ce que cela signifie, c'est-à-dire de ce que cela éclaire quant au sens et à la force du passage visé.
S'agissant de l'alexandrin (ou les alexandrins) du jour, la question se pose ainsi: pourquoi cet alexandrin en particulier? Qu'a-t-il de si spécial? Que révèle-t-il ? En quoi peut-on dire que l'alexandrin est bien " fichu "?
Quelques réponses (points de départ du cours)
vers 12
retranscription du cours démarré par la recherche du sens de l'alexandrin 12 en fonction de sa construction et de sa formulation:
vers 405-406
Adam puis Clemens, élèves de seconde15, qui cogitent sur les vers 405-406 :
Le cours réalisé en classe sur II, 2 (tirade de Néron)
Le langage néronien
Mais de tout l'univers, quel sera le langage?"
Néron à Narcisse (IV, 4)
Retour à la fameuse tirade en II, 2 :
La définition de Néron (qui fantasme et désire) pose problème: le corps (qu'il soit amoureux ou contraint) est son seul langage de brute. C'est ce qu'il rappelle à Junie en dans la très fugace scène 4 de l'acte II :
Madame, en le voyant, songez que je vous vois.Mais plus encore que le corps, c'est un corps unique et réduit que celui de Néron, en ce qu'il n'est que physique (et non pas symbolique comme un corps de monarque est censé l'être). Pour rappel, le corps du roi est en effet de deux ordres.
A la clôture de l'acte IV, face à Narcisse, Néron est incapable de penser autrement que par les sens, et notamment le sens visuel:
Viens, Narcisse. Allons voir ce que nous devons faire.
Néron ne réapparaîtra finalement qu'en V, 6 mais avec cette didascalie qui pèse de tout son poids :
NÉRON, voyant Agrippine.
Britannicus vs Néron (III, 8)
Double NOTA BENE: Clarisse veut parler de l' "inversion" (et non "inversement") des termes et elle étudie un alexandrin de Britannicus (pas la parole de Néron) !
Prochaines échéances et prochaines énigmes ...
Mère/fils (IV, 2)
le texte
Agrippine vue par Dominique Blanc (pensionnaire à la Comédie Française)
La mise en scène Braunschweig
#unjourunalexandrin V,5 (Burrhus)
vers 1630
Le fer ne produit point de si puissants efforts
montrer que cet alexandrin est inutile et utile ...
- -
Dénouement (V, 8). Pour aller plus loin.
RACINE, le conteur derrière le dramaturge.
Certes, la bienséance. Mais surtout, la dramatisation d'une scène par le récit racinien lequel est aussi une occasion, en insérant de l'action dans l'action, de dilater l'espace et le temps scéniques et de mettre le spectateur dans une autre forme de confidence.
Comparaison des récits d'Albine et du récit de Théramène.
L'alexandrin racinien, par Hervé Pierre (Sociétaire à la Comédie Française)
"Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes!"
Parcours associé: pouvoir et abus de pouvoir
Évaluation (dissertation sur oeuvre)
Modèle ministériel
Sujet du DM pour le 04/01/2021
Dans Britannicus, qui est le monstre?
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